Louise Jeanne Aimée HERVIEU est née le 26 octobre 1878 à Alençon (Orne) et morte le 11 septembre 1954 à l’Hôpital Civil de Versailles (Yvelines).
Louise Hervieu est une artiste peintre de compositions animées, figures, nus, intérieurs, natures mortes, fleurs et fruits, dessinatrice, illustratrice et écrivaine française du XXe siècle.
Ses souffrances nourrirent ses talents et fondèrent sa renommée.
Son art, dont les thèmes sont des nus féminins dans des intérieurs romantiques et des natures mortes, notamment des fleurs, s’impose par la lumière mystérieuse enveloppant les formes, et l’atmosphère tragique, douloureuse, profondément lyrique qui s’en dégage. Plusieurs de ses fusains sont des chefs-d’œuvre par la souplesse de leur exécution et leur extraordinaire relief.
Le Musée National d’Art Moderne de Paris en conserve une série importante, dont La Dame à la console (1922), Ephèbe sur son lit funèbre (1929), La Pendule.
Sa maladie
La maladie l’envahissant progressivement, elle se retira du monde, confinée dans sa chambre au long des années, poursuivant solitaire une œuvre limitée et pourtant considérable. Elle n’échappa en outre que de peu à la cécité, qui aurait alors interrompu ses activités de dessinateur, d’illustrateur et d’écrivain.
Instigatrice du « Carnet de santé »
Les mêmes épreuves qui la firent infirme, l’incitèrent à convaincre les pouvoirs publics de la nécessité de créer le « Carnet de Santé ».
Peinture & Littérature
Elle fut l’élève de Lucien Simon, René Ménard, André Dauchez, elle débute par des peintures qu’elle expose une seule fois en 1910.
Ensuite, elle se tourne vers le dessin (crayons et fusains) et l’illustration de livres.
- En 1920, elle illustra l’ouvrage collectif Le Livre de Geneviève;
- En 1920 et 1922, Les Fleurs du Mal et Le Spleen de Paris de Charles Baudelaire;
- En 1924, elle a présenté L’Âme du cirque, illustré par Bonnard, J.-É. Blanche, Bourdelle, Hermann-Paul, Maurice Denis, Daragnès, Dunoyer de Segonzac et autres;
- En 1948, elle illustra Les Liturgies Intimes de Verlaine, des nus sensuels y animant la pénombre d’intérieurs secrets.
Parmi des albums de ses dessins, ainsi que de ses propres textes qu’elle illustra, nous pouvons citer :
- Lettres à Geneviève, Sur le dessin
- Entretiens sur le dessin avec Geneviève en 1921 ;
- Vingt Nus en 1922 ;
- Le bon vouloir en 1927 ;
- Montsouris en 1928 ;
- Réminiscences en 1946.
Ayant, sans doute à cause de sa maladie, délaissé tôt la peinture pour le fusain, maltraité, griffé à la lame de rasoir, elle se fit cependant connaître malgré le caractère faussement « mineur » de cette technique. Une émotion étrange, amoureuse et morbide à la fois, se dégage de ses jeux de noirs profonds et d’éclairs blancs crevant la pénombre, les personnages ou les natures mortes traités occupant l’espace de façon à répercuter les rares rais de lumière filtrant des persiennes closes sur un univers secret.
La galerie Katia Granoff, à Paris, a montré un ensemble de ses œuvres en 1992.
Devenue presque aveugle, elle s’adonna également à la littérature. L’un de ses livres, Sangs (1936), a connu une large audience et propagé la confession poignante d’une victime de l’hérédité.
Son style
Louise Hervieu peint principalement sur papier, d’un trait gras, souple et fourmillant, des nus dans des intérieurs Louis XV : sur ce thème sempiternel, elle trace au lavis des variations étranges, fiévreuses, dont le parfum morbide évoque Baudelaire ou les films noirs de Visconti. Effets d’ombre et de lumière accordant aux objets la même importance qu’aux visages, intérieurs alourdis de tentures, surchargés de meubles ventrus, de velours, de bronzes rocailles qui sont autant de prétextes à reflets inquiétants. Il y a chez elle du Rembrandt et du Fragonard, et Claude Roger-Marx dit de ses dessins qu’on peut les rapprocher, pour leur clair-obscur, de ceux de Redon et de Seurat ; ils sont parmi les plus rayonnants de vie intérieure et les plus obsédants qu’une main féminine ait jamais tracés ». D’une santé toujours menacée vit pratiquement retirée du monde, s’épanchant en de poignantes confessions dans sa correspondance et dans deux ouvrages, Sangs et Roses de sangs.
Une recherche passionnée, éblouie, absorbait Mlle Louise Hervieu. Aujourd’hui, l’artiste possédant sa matière et son métier, n’a plus qu’à se laisser guider par sa sensibilité et son imagination.
Une femme, peintre et écrivain de talent, Mme Lucie Cousturier nous parle d’une autre femme qui a le double don, Remy de Gourmont dirait l’unique, d’écrire et de peindre :
« Hervieu a beaucoup de choses à nous dire : ses nerfs, au contact des objets, entrent en vibrations complexes, singulières. Son fusain en griffant et mordant le papier a formé des combinaisons de crêtes, de miroirs, d’écumes qui ressemblent à une mer agitée, au clair de lune et à son cœur. Maintenant elle n’a qu’à s’asseoir et à dire à cette matière, comme dans les contes de fées : « Je veux des fleurs et des fruits crevant de sève. Je veux des objets luxuriants d’orgueil. Je veux des chairs tordues par le désir. Je veux des joujoux gonflés de vœux d’enfants. »
Et sa matière, comme une magicienne la lui donne.
« Au peintre, sa matière donne tout ce qu’il veut pourvu qu’il ne la contrarie jamais et qu’il ne doute pas de son pouvoir une seconde. Louise Hervieu n’est pas indiscrète. Elle n’enfreint pas les clauses divines. Ce que sa matière veut, elle le veut (1).»
Cette explication fournit, sous son paradoxe, une belle image pour évoquer Mlle Louise Hervieu au travail, réglant parfaitement de son admirable métier le tumulte de son inspiration. L’essentiel de l’œuvre de cette artiste, de son évocation fervente du nu, est moins sur ses cartons cependant qu’en un beau livre (2). C’est en illustrant Baudelaire que Mlle Louise Hervieu apprend à tous les illustrateurs la compréhension et aussi qu’une réalisation absolument originale peut doubler celle du poète, en se conformant au premier génie créateur.
Combien de dessinateurs eussent assassiné Baudelaire, si ce crime n’était impossible ! Quelles plates et pauvres morbidesses, quel satanisme grossier de cabaret montmartrois ne s’y sont pas acharnés ? Mlle Louise Hervieu a situé les Fleurs du Mal dans leur cadre de conception.
Elle a compris ce vœu :
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale…
et le mot, premier cri d’un vers : Luxe ! … C’est somptueusement, d’une magnificence à la fois sourde et triomphale, d’un faste souverain, sans clinquant, que s’ornent les alcôves, les asiles méditatifs, les couches de la douleur et de la volupté. Et les corps des femmes rêvées, des anges lointains et présents épousent les nombres mêmes de beauté, la qualité de race, la spiritualité sereine ou fiévreuse, fixée par le poète.
Mlle Louise Hervieu est une grande artiste. L’association de ces deux mots ne trouverait pas aujourd’hui une opportunité aussi vive. Elle n’a pas encore atteint les sommets où tombent les formules et où l’âme — non la matière — « donne ce qu’elle veut». Nous l’y verrons sans doute bientôt.
Notes :
(1) Louise Hervieu. Bull. de la Vie Artistique, n° 9.
(2) Baudelaire. Les fleurs du Mal, Paris, Ollendorf, 1921.
Sources :
– E. BÉNÉZIT. Le Dictionnaire des Peintres, Sculpteurs, Dessinateurs et Graveurs. GRÜND. 1976 et 1999
– Le Dictionnaire de l’Art Contemporain. LAROUSSE. Janvier 1965
– Les Petits Maîtres de la Peinture Valeur de Demain (1820-1920) par Gérald Schurr. Les Éditions de l’Amateur. 1977
– Le Nu dans la Peinture Moderne (1863-1920) » par Francis Carco. Les Éditions G. Crès et Cie. 1924